Les connexions entre le foie et l’intestin


Comment une mauvaise intégrité digestive peut causer une maladie du foie

Le concept d’ « axe intestin-foie » n’est pas nouveau : il a été décrit pour la première fois en 1987 lorsqu’un groupe de chercheurs a découvert que les patients atteints de cirrhose avaient des taux élevés d’anticorps dans le sang contre des aliments comme les œufs, le petit-lait et la caséine [1].

 

Depuis, il a été démontré que l’axe intestin-foie joue un rôle dans le développement de la plupart des maladies du foie, telles que les cholestases hépatiqus, les maladies alcooliques et du foie gras non alcooliques (NAFLD), les stéatohépatites (NASH) et même le carcinome hépatocellulaire (cancer du foie). Il a également été démontré qu’il joue un rôle dans la progression des maladies du foie vers la fibrose et la cirrhose [2].

 

Examinons de plus près comment l’intestin peut affecter le foie :

Le sang circule de l’intestin vers le foie

Le foie reçoit son apport sanguin de deux sources : l’artère hépatique et la veine porte. L’artère hépatique apporte du sang riche en oxygène de la circulation générale au foie, tandis que la veine porte – responsable de 70 à 75 % de l’approvisionnement sanguin du foie – apporte du sang pauvre en oxygène provenant de la rate et du tractus gastro-intestinal. Ce sang pauvre en oxygène post-digestif est riche non seulement en nutriments, mais aussi en produits bactériens, en toxines et en métabolites intestinaux.

Le foie reçoit ainsi non seulement les nutriments présents dans l’intestin, mais aussi ses déchets. En ce sens,

Le foie agit comme un “pare-feu” secondaire, protégeant l’organisme contre les pathogènes nocifs et les autres produits microbiens qui peuvent avoir échappé à la première barrière des “parois” de l’intestin.

Ceci, bien sûr, sert au mieux les intérêts de l’organisme, mais avec le temps, le foie s’en trouve mis à l’épreuve [3].

Le lien avec l’intestin perméable

Comme nous l’avons expliqué plus haut, en raison de la circulation portale, le foie est le principal récepteur des “restes” du tube digestif. Le foie est le premier organe à rencontrer tout ce qui passe la paroi intestinale, qu’il s’agisse de nutriments utiles ou de composants microbiens nocifs. L’intégrité de l’intestin peut donc avoir des effets bénéfiques ou néfastes sur le foie.

Une barrière intestinale compromise (aussi appelée “intestin perméable”) permet à un plus grand nombre de substances nocives de traverser la barrière primaire de la paroi intestinale, augmentant ainsi l’exposition du foie aux microbes et aux toxines [4]. Ce phénomène est appelé “endotoxémie métabolique“, un terme créé lorsque les chercheurs ont découvert que même de très faibles concentrations de bactéries Gram négatif passant de l’intestin vers le sang étaient impliquées dans l’inflammation et l’insulino-résistance responsables du diabète [5], [6]. Ce même dysfonctionnement, nous le savons maintenant, peut aussi causer une inflammation du foie : l’endotoxémie provoque un reflux du flux biliaire (appelé stase biliaire) au niveau hépatocellulaire, entraînant une inflammation cellulaire et des lésions [7].

La perméabilité intestinale – et les métabolites dérivés de microbes, les acides biliaires secondaires, les acides gras à chaîne courte et l’éthanol (alcool) qu’elle dérive vers le foie – peuvent donc entraîner la NAFLD et d’autres maladies du foie. En fait, on estime qu’environ 40 % des personnes atteintes d’une maladie du foie gras ont une hyperperméabilité intestinale [8] et que l’inflammation hépatique secondaire à l’endotoxémie a même été associée à la progression du cancer du foie [9].

Environ 40 % des personnes atteintes d’une maladie du foie gras ont une hyperperméabilité intestinale.

Le lien entre le tube digestif et le foie n’est cependant pas à sens unique. Le foie peut également affecter l’intestin, par la sécrétion d’acides biliaires et, comme les chercheurs l’ont découvert en 1987, d’anticorps IgA [10]. La stase biliaire liée à l’endotoxémie contribue ainsi à un déséquilibre de la flore gastro-intestinale et à une diminution de la motilité gastro-intestinale [11].

Mais qu’est-ce qui cause cette hyperperméabilité intestinale ? Bien qu’il existe de nombreux facteurs, la principale cause dans le cas des maladies du foie est peut-être la dysbiose, un déséquilibre dans les types de bactéries, virus, champignons et autres microbes présents dans l’intestin.

La progression des microbes

Beaucoup d’études indépendantes ont démontré le lien entre la dysbiose (déséquilibre microbien) et plusieurs maladies chroniques du foie [12] – dont la NAFLD [13], les maladies alcooliques du foie [14], les maladies cholestatiques du foie [15], la cirrhose [16] et même les carcinomes hépatocellulaires [17].

Des altérations du microbiome, accompagnées d’un intestin perméable et de maladies du foie, ont également été observées chez les personnes atteintes de surpopulation bactérienne de l’intestin grêle (SIBO) [18], ainsi que chez celles atteintes d’une infection à Helicobacter pylori, cause courante d’ulcère gastrique. La présence de levures productrices d’alcool comme Candida albicans ou Saccharomyces cerevisiae dans l’intestin a également été associée à une maladie du foie gras chez les adultes et les enfants [20], [21] et des taux d’alcoolémie beaucoup plus élevés ont été observés chez les animaux obèses [22].

Construire un meilleur microbiome plus équilibré est donc une approche cliniquement utile à la fois pour prévenir et réparer les maladies du foie gras. Les stratégies visant à améliorer le microbiome comprennent les probiotiques, les prébiotiques et les symbiotiques (association de prébiotiques et de probiotiques). En fait, les auteurs d’une étude sur les maladies du foie soulignent leurs conclusions en ces termes [23] :

La modulation du microbiome par les pré-pro- et les symbiotiques peut avoir des effets hépatiques positifs significatifs sans trop d’effets secondaires majeurs.

Diverses plantes et produits naturels peuvent également être utilisés pour modifier l’équilibre microbien [24], tout comme les stratégies visant à augmenter la production d’acide gastrique [25]. Au cours des dernières années, de plus en plus de recherches ont également été menées sur les bienfaits curatifs de la transplantation de microbiote fécal (FMT ou transplantation fécale) [26].

En fait, il a été démontré que le FMT modifie considérablement le microbiome et influence les résultats sur la santé. Dans une étude, les selles d’un patient atteint d’hépatite alcoolique grave ont été prélevées et transplantées chez des souris. Non seulement on a observé une augmentation de la translocation bactérienne chez ces souris, mais aussi une susceptibilité accrue aux lésions hépatiques causées par l’alcool, une inflammation hépatique plus grave et un taux plus élevé de nécrose du foie [27].

Les bénéficiaires du FMT ont noté une meilleure fonction cognitive et un moins grand nombre d’hospitalisations que ceux ayant reçu des soins standards (10 contre 1).

Mais est-ce que le fait de recevoir un FMT avec des échantillons prélevés sur un donneur en bonne santé pourrait améliorer les résultats pour les receveurs atteints d’une maladie du foie ? La réponse à cette question fait actuellement l’objet de recherches [28], [29], [30], [31], mais certaines études ont déjà démontré les promesses du FMT [32]. Dans une de ces études, des selles prélevées chez un donneur sain ont été transplantées par lavement rectal chez des patients atteints de cirrhose qui avaient récemment terminé un traitement antibiotique de cinq jours. Les participants ont ensuite été observés pendant 100 jours, période pendant laquelle les bénéficiaires de FMT ont bénéficié d’une meilleure fonction cognitive et de moins d’hospitalisations que ceux qui ont reçu des soins standards (10 contre 1) [33].

En résumé

La dysbiose microbienne dans le tube digestif va de pair avec l’inflammation hépatique, diverses formes de maladies du foie et même le cancer du foie [34]. En adoptant des stratégies pour prévenir et guérir la perméabilité intestinale, ainsi que des traitements pour un meilleur microbiome, il est possible non seulement de prévenir les maladies du foie, mais également de les inverser.

Source

Article original en anglais,

“How poor digestive integrity can cause liver disease”, Nutrition In Focus.

Références

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